Les PFAS, ces fameux ‘polluants éternels’ qui défraient la chronique, sont sur la sellette. L’Assemblée nationale envisage de serrer la vis avec une interdiction progressive à partir de 2026. Une décision qui fait trembler l’industrie française et soulève une kyrielle d’interrogations : que valent ces nouvelles restrictions ? Quels sont les impacts réels pour notre économie ? La France joue-t-elle une partie en solo au risque de se tirer une balle dans le pied ?
Les PFAS : omniprésents et indispensables
Impossible d’ignorer les PFAS (per- et polyfluoroalkylées), cette vaste famille chimique qui hante à la fois les rapports d’experts et les chaînes de production. On en compte entre 4 000 et 14 000, avec des propriétés très éloignées selon les usages. Leur force ? Une résistance redoutable à la chaleur, à l’eau et aux attaques chimiques, de quoi séduire ingénieurs et industriels.
En France, ces composés s’invitent dans tous les secteurs. Textiles spécialisés, tenues de protection, équipements pour l’aéronautique capables d’endurer des températures extrêmes, circuits imprimés pour l’électronique, polymères de pointe pour l’industrie chimique : leur empreinte est partout. Le quotidien n’est pas épargné, jusque dans les emballages alimentaires, mousses anti-incendie ou encore certains cosmétiques. Pour s’en passer, il faudra changer bien plus que quelques procédures : c’est tout un écosystème industriel qui devra évoluer.
Une interdiction précipitée ?
Courant 2023, la question des PFAS s’invite à l’Assemblée avec un texte de loi porté par Nicolas Thierry. Rendez-vous déjà pris pour le 20 février 2025. Première échéance : dès janvier 2026, fabriquer, importer ou vendre tout produit contenant ces substances deviendra interdit. À l’horizon 2030, le textile devra composer sans. Quelques rares exceptions subsisteront, mais la règle sera claire pour tous.
Derrière cette volonté politique, un objectif : limiter les risques pour la santé et l’environnement. Les PFAS s’accumulent dans l’eau, la terre, les organismes vivants, sans se dégrader. Plusieurs études ont pointé du doigt des liens entre l’exposition aux PFAS et diverses pathologies, cancers, perturbations hormonales, affaiblissement du système immunitaire. Les inquiétudes ne relèvent plus de la rumeur, elles s’appuient sur des faits établis.
Le tollé des industriels
Pas de surprise : la riposte industrielle n’a pas tardé. Les entreprises du secteur chimique, en première ligne, dénoncent une mesure brutale. « Les PFAS sont irremplaçables pour certaines applications ! » Le Conseil européen de l’industrie chimique (Cefic) réclame une transition douce, histoire d’éviter des secousses ingérables pour l’économie.
Dans le textile, même son de cloche. Les fabricants s’appuient sur ces substances pour garantir à leurs tissus imperméabilité, résistance aux taches et longévité. Remplacer les PFAS ? C’est possible, mais les alternatives restent chères, peu compétitives et pas toujours disponibles à grande échelle. Résultat : les entreprises françaises pourraient perdre du terrain face à des concurrents moins contraints par la loi.
L’industrie chimique elle aussi s’interroge. À Pierre-Bénite, non loin de Lyon, Daikin Chemical France fabrique des composés fluorés à destination de l’automobile. Qu’adviendra-t-il de ces usines si la législation change ? La menace de délocalisations n’est plus à écarter.
L’aéronautique et l’électronique ne sont pas épargnées. La France, qui compte sur des fleurons comme Airbus ou Dassault, risque de fragiliser ses chaînes de production. Les PFAS sont utilisés pour assurer la résistance de composants essentiels. La compétitivité nationale pourrait sérieusement vaciller.
Un isolement dangereux
La France s’avance seule, sans attendre le feu vert de Bruxelles. L’Union européenne travaille sur une réglementation, mais préfère la jouer plus progressif, pour éviter de désorganiser tout le secteur. En agissant sans concertation, l’Hexagone risque de se marginaliser sur le marché européen.
Certains pays plaident pour une interdiction plus ciblée : seulement là où l’impact est jugé le plus problématique. Cette approche graduée limiterait les effets de bord, tout en s’attaquant au cœur du sujet. Un autre risque se profile : déplacer la production vers des pays moins exigeants sur la question de l’environnement. Un paradoxe pour une démarche censée défendre l’écologie.
Quelles alternatives aux PFAS ?
Face à la pression, le gouvernement affirme que des solutions de remplacement sont disponibles. Mais pour les industriels, la réalité est plus nuancée. Les alternatives, souvent à base de polymères bio-sourcés, peinent à convaincre. Leur efficacité, leur disponibilité, leurs coûts : tout reste à prouver. Quelques entreprises misent sur la recherche et développement, mais ces innovations ne sont pas prêtes à prendre le relais à grande échelle.
La question des PFAS ne se limite plus à un simple débat de principe. Leur impact sur l’environnement est avéré, l’urgence s’impose. Mais la méthode retenue par la France interpelle. Interdiction rapide, absence d’alternatives matures, isolement face au reste de l’Europe : le cocktail est explosif.
La France avance, les yeux rivés sur l’horizon, mais le sol sous ses pieds n’a jamais été aussi mouvant. Entre ambition écologique et fragilité économique, la moindre erreur de trajectoire pourrait laisser des traces durables.

